Je veux être Lola Lafon

Parce que quand tu parles de Lola Lafon, tu parles de son écriture et de sa diction. Précises, élégantes, mais d’une liberté enviable comme sur le podcast littéraire d’Arte. Tu réalises que ce que tu lui envies, ce n’est finalement ni sa façon de parler, ni ses idées, mais sa conscience de soi.

Tu lis une artiste reconnue – y compris par elle-même – et qui ne remet pas en question le sérieux avec lequel on va recevoir ses propos. Une confiance affirmée sans détour.

Chavirée par Chavirer

J’ai donc acheté Chavirer pour prolonger le moment où je l’ai découverte : les trois interviews de Bookmakers, le podcast sur les écrivains, leur processus d’écriture, la naissance de leur inspiration…. créé par Richard Gaitet. Au début je ne savais pas comment prendre la sensation de légitimité absolue qu’elle dégage. Puis les jours suivants, j’avais envie de retrouver cette confiance. De l’appeler un soir, fumer une clope avec elle. Il me fallait encore de cette confiance, cette droiture d’adulte assumée, limite « bourge ». Un jour quelqu’un a bien dû lui dire ce qu’elle valait, lui donner cette légitimité. Sinon, c’est encore plus admirable, mais ce n’est pas la question pour le moment !.

Cléo, anti-héroïne douloureuse

Dans Chavirer, Lola nous présente Cléo, 13 ans, quelques mois et quelques jours, consciente, elle, de sa banalité.

Elle décrit comment se dévoile sa nouvelle importance, sa triste médiocrité s’efface au fil des chapitres. La gosse se retrouve au centre des attentions de ses camarades de collège et des membres de sa famille. La position offerte par sa nouvelle amie est grisante. Et tu as beau avoir lu la quatrième de couverture, tu ne peux pas t’empêcher de te réjouir pour elle.

Ah en fait non, dès la page 30, le mal au ventre s’installe. Il faut faire marche arrière mais comme Cléo, 13 ans, moi, 36 ans, je n’arrive pas à réécrire l’histoire.

Je me crois dans un livre d’épouvante, j’ai envie de prévenir “non, non, attention n’y va pas!”. Mais j’attends le soulagement, un nouveau chapitre ou la fin du roman.

Et toi tu aurais réagi comment ?

Il est difficile de faire la part de ce qui a été expérimenté par l’auteure de ce qui lui a valu de longues heures de recherches documentaires pré-écriture. J’ai relu intérieurement plusieurs fois ces paragraphesLola Lafon décrit les freins que rencontre son héroïne une fois adulte et qui offrent un témoignage saisissant de ce qu’on garde d’un passé compliqué, des conflits qui nous accompagnent dans toutes nos nouvelles constructions.
On ne cherche pas de prétexte ou d’excuse à Cléo. On regarde juste un humain anonyme chavirer, par gros temps et sans secours.

“Maintenant, tout semblait indiquer que Cléo aurait 13 ans pour l’éternité, elle se cognait à chacun des angles morts de cette éternité.”

Extrait de Chavirer


Chavirer, Lola Lafon. Ed Actes Sud, 20.5 balles.

Oh non j’ai plagié Gringe !

Gringe qui se lance dans l‘écriture autobiographique ? Quand j’ai vu les premiers posts de sa promo pour Ensemble, on aboie en silence, je me suis dit “Nan, le gars, un an avant que je sois publiée, va sortir mon bouquin avant moi. C’est foutu.” Un type et son frère schizophrène : leur enfance, la prise de conscience, les déchirures et retrouvailles. Je me croyais unique et innovante, avec mon roman autobiographique arraché à l’encre de mes veines…

Et moi, alors ?

Du coup je n’ai pas acheté, et encore moins ouvert son livre avant janvier. Je voulais savoir comment il avait traité le sujet, mais j’avais peur de me comparer, et de trouver trop de ressemblances entre nos deux livres. 

Heureusement, outre le fait que lui rappait sur scène pendant que je téléconseillais ou vendais des fruits et légumes, j’ai trouvé de nombreux points de dissemblance.

Bien sûr, rassurée, j’ai pris plus de plaisir, voire trouvé une certaine fierté à me retrouver dans certains de ses propos, et mon discours s’est alors transformé :

“Hey mec, tu ne le sais pas encore mais tu vas être mon frère. Je te présente ton beauf, ta nièce. Tu vas la kiffer, et ta nouvelle sœur tu vas pouvoir écrire un deuxième bouquin sur elle !”

Quelques tournures de chapitres en commun 

En fait ça fait même carrément du bien de voir couchés sur la papier par quelqu’un qui est pile dans la même position que toi, les moments d’incompréhension sur la maladie elle-même et sur comment ton frère ou ta sœur peut en jouer, ou bien se limiter encore plus en se sachant malade. 

“Thibault voit tout et entend tout. Et je refuse qu’on ne voie plus en lui qu’un symptôme. Ça le dépossède de sa personne, ça le dépossède de son histoire.
Et les deux sont bien trop belles.”

Extrait de Ensemble, on aboie en silence de Gringe.

Très tôt j’avais appris à tenir compte des voix et délires de ma mère, puis de ma sœur plutôt que d’essayer de les convaincre que c’était faux. Alors j’adore quand Gringe se demande s’il va pas négocier lui-même en direct avec les voix pour qu’elles acceptent d’écrire ce témoignage ! Tu sens qu’il a (plus que moi) réfléchi l’existence de la partie immergée de son frère. Malade ou pas, on s’en fout, de toute façon on n’a pas assez de vocabulaire pour appréhender l’univers de la personne avec qui on a grandi. 

J’aurais voulu écrire sonJe suis le grand frère que je ne souhaite à personne

Le truc qu’on retrouve dans les témoignages de proches de personnes malades, c’est cette fichue culpabilité. Et là je suis jalouse de ce début de chapitre d’Ensemble on aboie en silence

“- Le syndrome du survivant –

Une souffrance insidieuse, permanente, usante. De celle qui vous terrasse et ravage tout autour, vous fauche dans votre élan. De celle qui falsifie votre perception des choses, altère jusqu’à votre identité.”

Si un jour je rencontre Gringe, je lui demanderai, si sa pudeur m’y autorise, s’il a mis en place des stratagèmes pour éviter de faire culpabiliser son frère. Est-ce qu’il a essayé de lui cacher sa propre souffrance ? En lisant entre les lignes, je dirais que oui, mais j’ai peur de projeter sur lui mes propres constructions. 

“Si je mettais un point d’honneur à vouloir te protéger des dangers du monde, la vérité c’est que j’étais agité; Trop agité. […] Et, dans l’intimité de nos rapports, qui pouvait te protéger de moi ?” 

Non ça va je n’ai pas plagié. Je pense que pour définir le plagiat on doit tenir compte de l’intention de la personne. Et pour le moment, personne n’a déposé un brevet pour la schizophrénie ? C’est bon je peux continuer 🙂 

GRINGE, Ensemble on aboie en silence, Harper Collins, 16,5 balles.