Mon Amour,
J’espère que tu me pardonneras, en fait je sais que oui, car tu sais combien je dois être quasi déjà morte et épuisée pour renoncer au bonheur que tu m’as toujours offert depuis ces années et surtout te faire vivre l’enfer qui s’annonce.
J’ai toujours été la plus heureuse du monde de te retrouver, et d’attendre (ou juste imaginer, quand tu es près de moi) de te retrouver.
Jamais je n’aurais cru que ton sourire pouvait ne pas me sauver, tu ne dois pas t’en vouloir car ce n’est pas seulement face à la maladie que tu me perds, c’est aussi contre le même temps qui nous a transformés en des personnes plus fortes puis plus faibles mais qui ont toujours continué à s’aimer de plus en plus. La même force illimitée nous a portés, ensemble, et me pousse dans une autre direction. C’était tellement évident et instinctif alors, ça l’est tout autant ce matin pour moi.
Je voudrais avoir le courage de te faire mes adieux une dernière fois, mais je connais trop ton amour et cet impératif que tu as de toujours tout supporter et endurer à ma place. Tu vas encore essayer de m’épargner un courant d’air, un café tiédi, une mèche de cheveux dans mes yeux, l’expérience du dernier souffle.

Je t’avais prévenu que tu ne pourrais pas toujours. J’aurais pas dû te laisser faire à chaque fois. Je dois t’avouer qu’en t’envoyant ma pseudo pédagogie à la figure pour que tu me laisses respirer, je pensais surtout à t’aider à accepter qu’un jour, les rôles s’inversent et que les années que tu as de plus que moi, qui te donnaient le rôle d’adulte de la famille, ne finissent par te forcer à me laisser à mon tour te protéger, te couvrir, te draper de mon amour.
Je ne vais pas souffrir, je te le promets. Mes respirations seront juste de plus en plus faibles mon corps va finir de s’éteindre comme si je m’endormais. Tu sais je suis si fatiguée. Ton absence me donne froid et m’endormir loin de tes bras me fait un peu peur. Mais ce n’est rien comparé à ce que toi tu vas devoir endurer, et tu sais combien je dois souffrir pour me résoudre à te faire vivre ça.
Je vais juste passer la fin de ta vie à faire la sieste.
Je t’en supplie n’essaie pas d’aimer une autre femme comme moi, mais garde notre bonheur, économise-le, protège-le, tu es le seul à pouvoir le maintenir en vie maintenant.
J’ai toujours pensé qu’il allait y avoir quelque chose après, un passage vers un espace de paix et de contemplation passive. Je ne te lâcherai pas des yeux, ou de l’organe intangible qui me permettra de savoir comment tu vas, et de te faire savoir que je t’aime toujours. J’espère ne pas me tromper… Sois courageux mon amour, j’espère sincèrement qu’il ne te reste pas beaucoup d’années à tenir. On se retrouvera, j’en ai déjà hâte. Pardonne moi de ne pas t’avoir attendu, nos adieux et pleurs incessants nous épuisent tous les deux, et je n’ai plus la force de t’imposer à nouveau cet éclair de joie quand nos regards se croisent puis. Le noir. Quand je m’endors.
Je t’aime plus fort que je ne vis, je sais que tu le crois.
PS : je te laisse dans le tiroir de la table de nuit le stock de somnifères.